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    Une nuit de Mai 68.

     


    La salle d’attente de la gare  était remplie de monde, en cette fin de week-end. Depuis des heures, certains attendaient un train qui ne viendra jamais. Une voix impersonnelle dans les haut-parleurs diffusait des informations qui souvent étaient suivies d’un mécontentement de la part des voyageurs. Il était vingt heures et le train pour Fréjus ne serait là qu’à trois heures du matin. Alors pour combler ces instants de liberté qui prolongeaient notre permission, avec quelques bidasses désœuvrés, nous décidâmes d’aller faire un tour dans Lyon. La nuit était douce et c’est d’un cœur joyeux que nous partîmes pour une petite virée. Nous vîmes déambuler quelques manifestants déjà bien échauffés, signe précurseur d’un mois de mai agité. Par sécurité, nous rentrâmes à la gare bien avant l’heure, puis je me laissai choir sur un banc, le bonnet de marin  sur les yeux, indifférent au brouhaha de la salle d’attente.

    Le train bondé, roulait à faible allure en ce lundi matin printanier. Il était trois heures. Dans les couloirs, des gens appuyés aux fenêtres, d’autres allongés cherchaient le sommeil. Certains, au passage des voyageurs essayant d’enjamber leur corps, grommelaient et se retournaient puis replongeaient dans leur torpeur. Une grande effervescence avait agité la gare à l’annonce du train, chacun se frayant tant bien que mal un chemin pour monter dans les wagons déjà pleins. 

    Ma valise à la main, je compris qu’il était inutile d’essayer d’aller plus loin pour trouver une place. Alors je m’assis sur mon bagage et regardai toutes ses formes humaines dans une semi obscurité qui donnait à la scène quelque chose d’irréelle. Et à  mon tour, malgré ma position inconfortable, à force de fatigue, je m’endormis d’un sommeil agité, tandis que le train repris une allure presque normale.

    Mon demi-sommeil fut de courte durée. Un peu courbatu, je me relevai tant bien que mal, et suivis presque naïvement la lune jouant à cache-cache avec les nuages. Je tentai de l’accompagner du regard dans sa course vagabonde. Comme une sentinelle, l’astre nocturne semblait veiller et protéger les rêves de chacun,  tandis que mon compagnon d’infortune, indifférent du  spectacle, écoutait son transistor. « Tiens, entends ce qui se passe à Paris !» me dit-il avec un sourire désabusé.  La voix du speaker, trahissant une certaine émotion, débitait des informations couvertes par le bruit des agitateurs : « Les émeutiers ont envahi le Quartier Latin, des voitures sont  incendiées et des barricades sont érigées dans Paris.  Des pavés sont arrachés à la rue et lancés sur les forces de l’ordre qui répliquent par des bombes lacrymogènes. Les matraques n’épargnent personne et le sang coule : Excusez-moi, mais il règne ici une odeur insoutenable et la fumée brûle nos yeux. C’est un spectacle incroyable. Je vois partout des gens courir, j’entends d’autres crier dans leur fuite et d’autres sont assis pleurant ne sachant plus que faire. Ils sont malmenés par les gardes mobiles, qui ne leur laissent aucune chance. Ce n’est plus une révolte, c’est une révolution. ».

    A nouveau, mes paupières devinrent de plus en plus lourdes et lentement un mur noir s’éleva majestueux, devant moi. Je fermai alors les yeux comme si j’étais absorbé par un long tunnel. Ne plus penser, ne plus  réfléchir, mais simplement dormir, dormir… J’étais en somnolence et pourtant une force indicible me poussait à profiter encore du spectacle nocturne, malgré l’engourdissement de mon corps. La lenteur du train berçait mon être et mes yeux fatigués, suivaient malgré eux le spectacle de la nuit. Les lumières de la ville, comme une multitude d’étoiles scintillaient, des néons vantaient les mérites de tel ou tel produit.  Des gens avançaient dans tous les sens, ne se souciant ni de l’un ni de l’autre. Des voitures, les phares allumés attendaient que la barrière s’ouvre après le passage du train. Un monde secret s’activait  sans moi dans cette nuit pas comme les autres.

    Le front collé à la fenêtre, j’essayai de voler l’intimité des rares maisons déjà éclairées. Ce n’était pas du voyeurisme, ma pensée voulait simplement se rassurer en recherchant dans ces lumières, ce que j’avais laissé derrière moi. Je surpris quelques silhouettes furtives, d’un monde qui ne m’appartenait pas et qui semblait s’éveiller. Alors je pensai à mon père que j’aimais tant, déjeunant seul, comme d’habitude. C’était un homme très matinal. J’imaginai papa assis à la table de la cuisine, l’odeur du café, le chat ronronnant, tous ces petits bonheurs familiers de la vie annonçant un jour nouveau, mais qui au quotidien nous échappent. Puis il ira chercher son journal tranquillement, mais ce matin il n’aura pas à me réveiller. Une tristesse infinie s’empara de moi, je fermai alors les yeux pour ne pas pleurer. L’aurore avait bien du mal  à pointer le bout de son nez, et toujours la foule avançait emportant avec elle des milliers de badauds vers leur destinée. A nouveau, mon train reprit une vitesse normale, les silhouettes devinrent de plus en plus difformes, puis bercé par le roulis des essieux, je me laissais glisser vers une autre vie.

    Roland Laurent

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  • IIl

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il s'en passe des choses là-haut...

     

     

    Dans le bleu du ciel

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  • Un petit chien bien malheureux, en tout cas il revient de loin.

    Mercredi il doit subir une opération sa survie en dépend. J'espère que les bonnes fées se poseront sur lui.

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    Et le Petit Prince prend de la hauteur au-dessus du village de son enfance

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  • Trop loin de Vous

    Trop loin de Vous ♥


     
    J’en ai connu des chemins loin de Vous

    Qui ne m’ont mené à rien trop souvent

    Sur la route de mes idéaux fous

    L’horizon s’éloignait de vous chaque instant

     

    Pourtant j’aurais aimé garder votre main

    Comme on retient le sable entre nos doigts

    Elle tremblait si fort en pensant à demain

    Quand je ne sais pourquoi je partis au loin.

     

    J’ai rêvé dans mes nuits de solitude

    De  vos yeux clairs, au delà de mes tourments

    Je caressais un corps par habitude

    Sans jamais goûter aux ivresses de l’amant

     

    J’ai parcouru des routes sinueuses

    Rencontrant des amours éphémères

    Les regards de quelques aventureuses

    Prirent mon cœur et sans pitié le blessèrent.

     

    J’ai trop tenu mon âme dans l’ombre

    Marchant dans les ténèbres de l’ennui

    Ainsi ma vie s’endormait dans la pénombre

    Et  se fanait dans le temps qui s’enfuit.

     

    J’en ai parcouru des jours et des nuits

    Été comme hiver, du printemps à l’automne

    J’ai vogué des lustres pour revenir sans bruit

    Cueillir mes regrets sur vos lèvres de Madone.

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